Les marques de renommée bénéficient d’une protection renforcée[1] qui va au-delà du simple risque de «confusion» entre produits. La protection vise, en effet, à éviter le risque de “dilution” ou de “ternissement/corrosion” de la marque et à lutter contre le “parasitisme”.
Une récente décision de la Cour de cassation[2]a ainsi accueilli le recours de la Maison Gucci, par lequel celle-ci demandait la nullité pour défaut de nouveauté de l’enregistrement de deux marques de la part d’une société chinoise.
Gucci, propriétaire de nombreuses marques constituées de la seule lettre “G” ou de la paire de lettres “GG” (cette dernière souvent présentée comme une marque figurative, avec les deux signes en position miroir), a introduit une action contre le citoyen chinois Zhao Yong, propriétaire de deux marques italiennes enregistrées sous les numéros 1197772 et 1355749.
Gucci demandait au Tribunal de Florence qu’il déclare ces deux marques nulles pour défaut de nouveauté, les produits qui en seraient distingués constituant contrefaçon de ses propres enregistrements antérieurs, ainsi qu’il arrête l’interdiction de production et/ou commercialisation et/ou publicité et/ou offre à la vente desdits produits.
Le Tribunal de première instance, par le jugement no.988/2015, rendu en date du 24.03.2015, n’accueillait toutefois que partiellement l’action intentée par Gucci, déclarant la nullité seulement d’un des deux enregistrements contestés.
Allant encore plus loin que le juge de première instance, la Cour d’Appel de Florence, par l’arrêt no. 1006/2016 du 15.06.2016 rendu sur appel de Gucci, rejetait la demande de nullité concernant les deux signes enregistrés par la défenderesse, considérant que les marques de M. Yong comportaient certaines différenciations (en particulier, le remplissage en gras de la bosse du “G” et la finesse du trait utilisé dans la marque no. 1197772) de nature à exclure tout risque de confusion et d’association chez le consommateur.
De plus, la renommée de la marque invoquée par Gucci paradoxalement jouait en l’espèce un rôle défavorable pour celle-ci, la Cour considérant qu’une marque de renommée est un signe déjà imprimé de manière cohérente dans l’esprit du consommateur et que, par conséquent, celui-ci est en mesure de le reconnaitre et de le distinguer parmi d’autres signes similaires.
Ainsi, l’attractivité de la marque “G” de Gucci ne saurait être compromise par un signe postérieur inapte à tromper la clientèle, qualifiée et experte, à laquelle elle s’adresse.
Partant de ces prémisses, Gucci, dans son recours en cassation, avait invoqué l’application de la protection renforcée prévue par le Code de Propriété Industrielle italien pour les marques de renommée.
Après avoir affirmé que Gucci est une marque de renommée, la Cour de cassation sanctionne la Cour d’Appel de Florence qui, pour rejeter l’appel, n’avait pas tenu compte de cette caractéristique centrale et avait par conséquent omis d’appliquer ladite discipline spécifique de protection, limitant son analyse à la seule évaluation du risque de confusion entre les signes.
La Cour de cassation se fonde sur l’article 20, alinéa 1, lettre c) du Code de la Propriété Industrielle[3] qui, transposant l’article 5 paragraphe 2 de la Directive 89/104[4], prévoit expressément que “le titulaire a le droit d’interdire à des tiers, en l’absence de son consentement, d’utiliser dans une activité économique […] un signe identique ou similaire à la marque enregistrée pour des produits ou services, même non similaires, si la marque enregistrée jouit de l’état de renommée et si l’usage du signe, même à d’autres fins que celle de distinguer les produits et services, permet sans juste motif de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou lui porte préjudice”.
La Cour rappelle les développements de la jurisprudence communautaire sur le sujet, en particulier les principes posés par la décision L’Oréal du 18 juin 2009, selon laquelle pour la réalisation des atteintes visées à l’article 5, paragraphe 2, de la Directive 89/104, “[…] il n’est pas exigé que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établisse un lien entre le signe et la marque […] [5]».
Cette protection renforcée vise à éviter les phénomènes de “dilution”, constitué dès lors que se trouve “affaiblie l’aptitude de [la] marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, l’usage du signe identique ou similaire par le tiers entraînant une dispersion de l’identité de la marque et de son emprise sur l’esprit du public [6]», et de “ ternissement” de la marque qui intervient lorsque “les produits ou les services pour lesquels le signe identique ou similaire est utilisé par le tiers peuvent être ressentis par le public d’une manière telle que la force d’attraction de la marque en est diminuée[7]“.
Grace à une telle protection, il est ainsi possible de combattre le phénomène du “parasitisme”, entendu comme la “vulgarisation” de la marque, c’est-à-dire, la perte de sa capacité à identifier un produit spécifique et l’association de cette même marque à une catégorie entière de produits ayant les mêmes caractéristiques. La Cour, dans son arrêt affirme encore que cette situation de “parasitisme” est représentée en l’espèce non tant par le préjudice subi par la marque que par “l’avantage indument tiré par le tiers du caractère distinctif ou de la notoriété de la marque.” Cette notion inclus le cas où, “grâce à un transfert de l’image de la marque ou des caractéristiques projetées par celle-ci sur les produits désignés par le signe identique ou similaire, il y a une exploitation parasitaire évidente dans le sillage de la marque qui jouit d’une notoriété, sans que le titulaire de la marque postérieure n’ait dû fournir des efforts propres, et sans aucune rémunération économique susceptible de compenser l’effort commercial fourni par le titulaire de la marque pour la créer et entretenir son image.”.
La Cour insiste sur le fait que plus le caractère distinctif et la notoriété de la marque en cause sont importants, plus l’existence d’une violation sera facilement admise.
La cour de renvoi devra donc se conformer aux principes de droits déclarés dans l’arrêt de la Cour de cassation, et décider si effectivement le dépôt et l’utilisation des deux marques postérieures par la société chinoise étaient sans juste cause entrainant ainsi un avantage indument tiré du caractère distinctif et de la renommée de la marque Gucci.
L’arrêt de la Cour de cassation se place dans le contexte d’une école de jurisprudence établie, mais en même temps présente l’état de l’art national en matière de marques de haute renommée.
[1] Décret législatif n. 30 du 10.02.2005 portant Code de la propriété industrielle, article 12, alinéa 1, lettre e) : “Ne peuvent être enregistrés en tant que marque d’entreprise les signes qui, à la date de dépôt de la demande: […] sont identiques ou similaires à une marque déjà enregistrée par d’autres dans l’État ou avec effet dans l’État, à la suite d’une demande déposée à une date antérieure ou ayant effet à une date antérieure en vertu d’un droit de priorité ou d’une valable revendication d’ancienneté pour des produits ou services identiques, similaires ou non, lorsque la marque antérieure jouit d’une renommée dans l’Union européenne ou dans l’État et que la marque postérieure tirerait indûment profit sans juste motif du caractère distinctif ou de la renommée du signe antérieur ou leur porterait préjudice”.
[2] Cour de cassation, 1ère Chambre civile, RG n. 27217/2021 du 07.10.2021
[3] Décret législatif n. 30 du 10.02.2005 portant Code de la propriété industrielle, publié dans la Gazzetta Ufficiale du 04.03.2005, n. 52
[4] Directive du Conseil n. 89/104/CEE du 21.12.1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques
[5] CJUE 18.06.2009, Affaire C-487/07, L’Oréal et autres, point 36
[6] CJUE 18.06.2009, Affaire C-487/07, L’Oréal et autres, point 39
[7] CJUE 18.06.2009, Affaire C-487/07, L’Oréal et autres, point 40