TRAITE DU QUIRINAL. L’ITALIE ET LA FRANCE SIGNENT UN ACCORD DE COOPERATION HISTORIQUE

marketude Diritto costituzionale e internazionale, Globally Minded, Marco Stillo, Prospettive, Pubblicazioni, Roberto A. Jacchia, Sophie Bertoletto

Le 26 novembre 2021, le Président français Emmanuel Macron et le Président italien du Conseil des Ministres Mario Draghi ont signé le traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (dit « Traité du Quirinal[1] »), un nouvel accord de grande envergure visant à consolider les relations entre les deux Etats dans des secteurs cruciaux tels que les affaires étrangères, la sécurité et la défense, les affaires européennes, les politiques migratoires et la coopération économique.

Côté français, la signature d’un traité de coopération bilatérale renforcée est une exception, et n’a été précédée que par la signature du Traité de l’Elysée avec Berlin en 1963 (complété plus tard par le traité d’Aix-la-Chapelle de 2019).

Le Traité trouve ses racines dans la rencontre à Lyon le 27 septembre 2017 entre le Premier Ministre de l’époque Paolo Gentiloni et le Président Emmanuel Macron, qui avait proposé d’établir un partenariat franco-italien sur le modèle du traité de l’Elysée.

Cependant, le processus avait été ralenti durant les gouvernements « Conte I »[2] et « Conte II »[3] en raison des tensions survenues entre les deux États concernant entre autres choses, l’acquisition des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri[4], l’accueil des migrants par le gouvernement français, le contrôle des sources d’énergie en Libye ainsi que l’affaire Mediaset /Vivendi[5]. Le dialogue a finalement repris à la suite de la nomination de Mario Draghi à la tête du pays en 2021, avec l’intention commune de signer un accord qui accélérerait le processus d’intégration européenne, la relance des investissements, la relance de l’économie après la pandémie de coronavirus, et le soutien à de nouvelles formes de coopération dans les domaines énergétiques et technologiques.

Constitué de douze articles, le Traité s’articule autour de trois objectifs principaux : travailler ensemble pour renforcer la coopération bilatérale sur les questions européennes ; structurer la relation bilatérale avec des orientations stratégiques partagées ; favoriser l’intégration des sociétés civiles, notamment en favorisant la mobilité des jeunes.

En ce qui concerne les affaires étrangères, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi qu’à la réalisation des objectifs de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable[6], le Traité prévoit la mise en place de mécanismes réguliers de consultation renforcée tant au niveau politique qu’au niveau des hauts fonctionnaires. Plus particulièrement, l’Italie et la France se sont engagées à des niveaux élevés de coordination sur toutes les questions touchant à la sécurité, au développement socio-économique, l’intégration, la paix et la protection des Droits de l’Homme en Méditerranée, le renforcement des mécanismes de coordination dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Le Traité prévoit également un programme d’échanges diplomatiques entre les ministères français et italien chargés des affaires étrangères. En outre, les parties entendent renforcer les relations entre l’Union européenne et l’Afrique en favorisant les consultations bilatérales sur les politiques de développement durable et la protection et la promotion effectives des Droits de l’Homme[7].

De même, en ce qui concerne les affaires européennes, en plus de favoriser la transition vers un modèle de développement résilient, inclusif et durable, les parties s’engagent à renforcer la coordination dans des domaines clés tels que, entre autres, la stratégie économique et budgétaire, l’énergie, les transports, la concurrence, la transition verte et numérique et la planification financière, promouvoir les mécanismes de convergence fiscale afin de lutter contre la concurrence agressive et soutenir une évolution des règles fiscales internationales répondant aux défis modernes de la numérisation[8]. A cette fin, les parties se consulteront régulièrement et à tous les niveaux en vue de dégager des positions communes avant les principales réunions européennes, en privilégiant, le cas échéant et dans le cadre prévu par les traités, un recours plus étendu au système de la majorité qualifiée pour les prises de décision au Conseil.

En matière de sécurité et de défense, l’Italie et la France s’engagent à promouvoir des formes de coopération et d’échanges tant entre leurs propres forces armées que sur les matériels et équipements de défense, contribuant ainsi à la sauvegarde de la sécurité européenne commune et à renforcer les capacités de l’Europe de la Défense (ledit “Strategic Compass”)[9]. Concrètement, les parties se consulteront régulièrement sur les questions traitées par l’Union européenne et l’OTAN, intensifiant la coopération entre leurs industries de défense et de sécurité respectives et promouvant des alliances structurelles[10]. En outre, le Traité réaffirme le principe d’assistance mutuelle en cas d’agression armée sur leurs territoires respectifs, en vertu des traités de l’OTAN et de l’ONU. Enfin, le Traité prévoit l’intensification du rôle du Conseil franco-italien de défense et de sécurité (ci-après « CFIDS »), créé en 2006 lors du sommet de Lucques à l’initiative de Rome, auquel participent les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays. Dans le cadre de la relation de défense bilatérale avec l’Italie, le CFIDS adopte divers accords de défense dans les domaines aérien, naval et spatial. En 2012, le CFIDS a également rédigé une « Déclaration des ministres de la Défense » qui a permis de donner à la relation franco-italienne la pleine mesure de sa dimension européenne.

L’une des pierres angulaires du Traité est celle relative à l’engagement des parties à travailler ensemble sur la réforme de la politique de migration et d’asile. En ce qui concerne les politiques migratoires, l’Italie et la France s’engagent, d’une part, à préserver la libre circulation dans l’Union et l’intégrité de l’espace Schengen par la mise en œuvre de politiques de migration et d’asile fondées sur les principes de responsabilité et de solidarité partagées entre les États membres, qui prennent en compte la particularité des flux migratoires vers leurs frontières respectives et, d’autre part, renforcent leur coopération dans la prévention et la lutte contre les menaces criminelles transnationales graves et émergentes, en particulier contre la criminalité organisée et le terrorisme.

À cette fin, les parties approfondiront la coopération entre leurs administrations judiciaires respectives, facilitant l’échange d’informations pertinentes grâce à la mise en place d’un forum de consultation régulier entre leurs ministères de la justice et des approches partagées sur les questions européennes[11].

Le Traité accorde également une importance particulière à la coopération entre les forces de l’ordre, prévoyant l’intensification des collaborations transfrontalières, à travers la création d’une unité opérationnelle italo-française pour soutenir les forces de l’ordre selon des objectifs communs, notamment dans la gestion d’événements majeurs et pour contribuer aux missions de police internationales. Une instance de concertation périodique est également mise en place, au niveau des Ministres de l’Intérieur ou des Directeurs Généraux, sur les questions de sécurité. En outre, les parties favoriseront des actions conjointes d’assistance technique et de formation destinées aux services répressifs et organiseront des réunions régulières afin d’analyser et de résoudre les questions d’intérêt commun, ainsi que d’identifier et de mettre en œuvre les bonnes pratiques dans l’application des outils de coopération policière. Les parties s’engagent également à encourager l’échange de membres des forces de l’ordre et à soutenir les activités de formation conjointes et les échanges de connaissances et de compétences, les cours de formation conjoints et les programmes d’échanges professionnels dans leurs administrations respectives.

En matière de coopération économique, industrielle et numérique, le Traité prévoit la mise en œuvre d’une politique industrielle orientée vers la compétitivité mondiale des entreprises qui facilite la double transition numérique et écologique, afin d’atteindre l’objectif d’autonomie stratégique de l’Union dans ces secteurs. À cette fin, les parties reconnaissent l’importance d’un Marché unique intègre, caractérisé par une concurrence loyale à la fois entre les entreprises de l’UE et entre les entreprises européennes et des pays tiers, avec des projets communs pour le développement des petites et moyennes entreprises (PME), afin d’encourager des stratégies communes sur les marchés internationaux. Le Traité institue également un forum de concertation entre les ministères chargés de l’économie, des finances et du développement économique, qui se réuniront annuellement afin d’assurer un dialogue permanent dans le cadre, d’une part, des politiques macro-économiques et, d’autre part, des politiques industrielles[12]. Reconnaissant l’importance de prévenir et de lutter contre la corruption et la fraude, l’évasion et l’évasion fiscales, les parties conviennent enfin d’intensifier la collaboration entre leurs “Services de Coordination Anti-Fraude” et leurs administrations fiscales.

Dans le domaine du développement social, le Traité réaffirme l’engagement des parties à renforcer la dimension sociale de l’Union européenne et la mise en œuvre du Plan d’action sur le pilier européen des droits sociaux, dans le sillage des engagements pris lors du sommet de Porto du 8 mai 2021. Dans ce contexte, les parties soulignent l’importance de garantir des conditions de travail et de rémunération décentes pour tous les travailleurs, de garantir un salaire minimum adéquat, de développer le dialogue social, de lutter contre le chômage des jeunes et de promouvoir le droit individuel à la formation pour encourager le développement des compétences. En outre, elles s’efforceront de soutenir et de mettre en œuvre les instruments multilatéraux relatifs au développement durable et à la protection de l’environnement et du climat, contribuant à la réalisation de la neutralité climatique d’ici 2050 ainsi qu’au renforcement de la résilience de l’Union. Plus particulièrement, conformément aux objectifs Green Deal européen[13] L’Italie et la France coopéreront pour réduire les émissions des transports et développer des modèles de mobilité et d’infrastructures propres et durables, dans le cadre d’une transition juste et solidaire[14].

Dans les domaines de l’éducation et de la formation, de la recherche et de l’innovation, les parties s’engagent à favoriser la mobilité entre les deux pays dans tous ces secteurs, notamment à travers le programme européen Erasmus+. Afin de parvenir à une coopération toujours plus étroite entre leurs systèmes éducatifs respectifs, les parties développeront des cours communs pour l’examen d’État italien et du Baccalauréat français (ESABAC), encourageront les partenariats systématiques entre les institutions italiennes et françaises qui les proposent, renforçant également la collaboration universitaire[15].

En matière de coopération transfrontalière, les parties, reconnaissant que la frontière terrestre italo-française constitue un bassin de vie interconnecté, dans lequel les deux populations partagent un destin commun, s’engagent à faciliter la vie quotidienne des habitants de ces territoires. Pour cette raison, les parties encouragent le dialogue entre les administrations et les parlements sur la transposition du droit européen afin d’éviter toute conséquence pratique néfaste pour les échanges dans les bassins de vie frontaliers liés à des différences importantes dans les mesures adoptées au niveau national, approfondissant leur coopération en matière de sécurité, notamment par le biais d’échanges de personnels et d’opérations conjointes ou coordonnées.

Enfin, sur le plan organisationnel, le Traité prévoit la création de trois nouveaux organismes. Le premier, un comité de coopération frontalière présidé par les ministres compétents des deux États, qui réunira au moins une fois par an les représentants des autorités locales, des collectivités et organismes de coopération frontalière, les parlementaires et les représentants des administrations centrales afin de proposer des projets de coopération dans tous les domaines des politiques publiques, et suggérer des solutions pour leur mise en œuvre[16]. Deuxièmement, un Sommet intergouvernemental annuel pour vérifier la mise en œuvre du Traité et examiner les questions prioritaires d’intérêt mutuel, à l’issue duquel les ministres compétents présenteront un rapport au Président du Conseil des ministres italien et au Président de la République française. Enfin, un Comité stratégique conjoint au niveau des secrétaires généraux des ministères des Affaires étrangères chargés de la mise en œuvre du Traité et du programme de travail qui, réuni une fois par an avant le Sommet intergouvernemental, définira des stratégies et actions communes en formulant des recommandations sur la mise en œuvre des engagements pris[17].

Doté d’une durée indéterminée, sans préjudice du droit de chaque partie de le dénoncer moyennant un préavis d’au moins douze mois par la voie diplomatique[18], le Traité vise à favoriser le rapprochement entre les peuples et un sentiment d’appartenance européenne commune en favorisant les échanges au sein de la société civile. Reconnaissant la profondeur des liens entre les deux pays, les parties renforceront la coopération entre les institutions et organismes italiens et français, également afin de consolider l’Union européenne dans le contexte délicat de l’après-Brexit, et dans l’ère post-Merkel. Le Traité constitue ainsi un véritable tournant qualitatif et quantitatif dans les relations bilatérales, qui, symboliquement, entamera son chemin parlementaire et politique sous le signe de la présidence semestriel française de de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022.

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[1] Disponible ici LINK.

[2] Du 1er juin 2018 au 5 septembre 2019.

[3] Du 5 septembre 2019 au 13 février 2021.

[4] Pour plus d’informations, voir notre contribution précédente, disponible ici LINK.

[5] Pour plus d’informations, voir notre contribution précédente, disponible ici LINK.

[6] Pour plus d’informations, voir ici LINK.

[7] Voir l’article 1 du Traité.

[8] Voir l’article 3 du Traité.

[9] Pour plus d’informations, voir ici LINK.

[10] Voir l’article 2 du Traité.

[11] Voir l’article 4 du Traité.

[12] Voir l’article 5 du Traité.

[13] Pour plus d’informations, voir notre contribution précédente, disponible ici LINK.

[14] Voir l’article 6 du Traité.

[15] Voir l’article 8 du Traité

[16] Voir l’article 10 du Traité.

[17] Voir l’article 11 du Traité.

[18] Voir l’article 12 du Traité.