LE TRAITE DE BARCELONE : RENFORCEMENT DE LA COOPERATION ENTRE LA FRANCE ET L’ESPAGNE AU SERVICE D’UNE AMBITION EUROPEENNE PLUS LARGE

marketude Protezione dei Dati e Cybersecurity, Diritto Europeo e della Concorrenza, Francia, Prospettive, Pubblicazioni, Sophie Bertoletto

À l’occasion du 27e Sommet franco-espagnol, à Barcelone, le 19 janvier 2023, le président de la République française, Emmanuel Macron, et le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, ont signé un traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Espagne.

Ce traité est le troisième signé par la France en Europe, après le Traité de l’Elysée avec l’Allemagne en 1963 et le Traité du Quirinal signé avec l’Italie en 2021[1].

Il intervient après des mois de tension entre la France et l’Espagne, causée par une crise énergétique exacerbée par le projet MidCat – abréviation de Midi (sud de la France) et de Catalogne (nord-est de l’Espagne)[2], par la fermeture par Paris du symbolique col de Banyuls qui entrave les passages frontaliers depuis deux ans, au grand dam de Madrid et par la question du manque de liaisons ferroviaires entre Barcelone et la France. 

Malgré ces tensions toutefois, la France et l’Espagne sont des partenaires de premier plan avec des coopérations très denses dans de très nombreux domaines, et le traité, composé d’un préambule, de dix chapitres thématiques et de 36 articles, embrasse l’ensemble du spectre de la coopération franco-espagnole : éducation et enseignement supérieur, culture, santé et affaires sociales, économie et industrie, recherche et innovation, environnement, agriculture et alimentation, sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme, défense, coopération transfrontalière, que ce soit au plan international, à l’échelle européenne ou bilatérale. 

Similaire aux traités de coopération antérieurs, le Traité de Barcelone se distingue néanmoins, en particulier du Traité du Quirinal, par la spécificité des relations que la France entretient avec l’Espagne et par le contexte européen et international dans lequel il a été signé. Ces différences apparaissent dans les principaux domaines envisagés dans le traité.

Dans le domaine des affaires étrangères, le traité prévoit que les parties se consultent régulièrement sur les questions de politique étrangère, en particulier sur celles qui touchent à leur intérêt national ainsi qu’en cas de crise et avant les grands événements internationaux. Il identifie également les actions et initiatives bilatérales, européennes et internationales qu’elles peuvent porter conjointement.

Alors que le continent européen fait face à une conjonction de crises et de menaces inégalées depuis la seconde guerre mondiale, le traité insiste sur la nécessité de développer une défense et une sécurité européenne plus « forte » (article 9.3), « visible » et « efficace » (article 11.1).    

Les parties reconnaissent l’importance stratégique de la Méditerranée, de l’Afrique, de l’Indopacifique et se consultent, tant en administration centrale que dans leur réseau diplomatique, pour partager leurs analyses, définir des positions communes et promouvoir leurs intérêts conjoints dans ces régions, en particulier sur le renforcement des liens entre l’Union européenne, la Méditerranée et l’Afrique.

Partageant la qualité d’États ultramarins, les Parties se coordonnent pour faire reconnaître les caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, telles que reconnues par les Traités.

Les Parties reconnaissent également l’importance et la profondeur de leurs liens avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Dans le domaine justice et affaires intérieures, alors que les relations franco-espagnoles ont longtemps été altérées par le sujet du terrorisme, le traité insiste sur le travail du groupe de travail franco-espagnol de lutte contre le terrorisme (GLAT) et du groupe de travail franco-espagnol de liaison anti-drogues (GLAD), compte tenu de leur efficacité et élargit ce modèle de réunion à tous les domaines qui seraient d’intérêt mutuel.

Les Parties favorisent et améliorent l’exécution des instruments de reconnaissance mutuelle, en particulier les mandats d’arrêt européens (MAE), des décisions d’enquête européennes (DEE), celle des certificats de gel et de confiscation, les transferts de procédures pénales et soutiennent la mise en place d’équipes communes d’enquête (ECE), à chaque fois que nécessaire.

Elles favorisent le déploiement d’outils de coopération dans le domaine de la sécurité dans les deux pays, tels que les centres de coopération policière et douanière (CCPD) et toutes formes d’opérations communes.

Dans le domaine maritime, la coopération des services garde-côtes français et espagnols est renforcée pour augmenter leurs capacités de détection et de lutte contre les trafics, en associant l’ensemble des administrations compétentes des deux Parties en matière d’action de l’Etat en mer.

En matière d’énergie et de développement durable, le traité insiste de façon détaillée sur la protection du patrimoine environnemental partagé en mer Méditerranée, dans l’océan Atlantique et dans les Pyrénées.

Il prévoit notamment la reconnaissance d’une zone maritime particulièrement vulnérable (ZMPV) par l’Organisation maritime internationale dans le nord-ouest de la Méditerranée, la formulation de propositions de nouvelles zones de contrôle des émissions de soufre (SECA) dans l’Atlantique et d’azote (NECA) dans la Méditerranée pour leur présentation devant l’Organisation maritime internationale,  le renforcement du suivi des échouages et des captures accidentelles de cétacés dans le golfe de Gascogne et de leur étude scientifique pour une meilleure compréhension, afin d’identifier les moyens de réduction de ce phénomène, via notamment le projet CETAMBICION, la mise en place et la gestion conjointe et coordonnée des espaces des réseaux Natura 2000 frontaliers terrestres et marins, notamment en Méditerranée, dans le cadre d’un dialogue sur la délimitation définitive de leurs espaces maritimes et la mise en œuvre des plans régionaux prévus à l’article 15 du Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique de la convention de Barcelone.

Les Parties soulignent que les objectifs de transition écologique et l’évolution des marchés énergétiques nécessitent une ambition renouvelée en matière énergétique pour accélérer la réduction de la dépendance aux combustibles fossiles et diversifier les sources d’approvisionnements, en respectant le libre choix des Etats membres en ce qui concerne leur bouquet énergétique conformément à l’article 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Dans ce contexte, Le projet baptisé “H2Med”, annoncé le 20 octobre dernier lors d’un sommet européen, vise entre autres à relier Barcelone et Marseille en sous-marin afin d’acheminer de l’hydrogène dit « vert » – car fabriqué à partir d’électricité renouvelable – depuis l’Espagne vers la France et le nord de l’UE.

Le projet remplace le projet MidCat, abandonné en 2019 en raison d’oppositions de nature écologique. Lancé officiellement début décembre, pour à terme permettre de se passer du gaz russe, H2Med doit être opérationnel en 2030. Outre le pipeline sous-marin, ce projet comprendra une interconnexion entre la ville portugaise de Celorico da Beira (nord-est) et la ville espagnole de Zamora (nord-ouest). Le gouvernement espagnol estime qu’il pourra acheminer chaque année quelque deux millions de tonnes d’hydrogène vers la France, soit 10% des besoins estimés en hydrogène de l’Union européenne.

Ce traité renforce donc, comme le Traité du Quirinal, les domaines de coopération majeurs entre deux Etats frontaliers et s’inscrit dans un contexte d’apaisement des relations entre la France et l’Espagne, tout comme le Traité du Quirinal avait été signé après plusieurs années de relations tendues entre Rome et Paris, en partie liées à l’arrivée au pouvoir de gouvernements populistes et à la crise migratoire.

Le renforcement des relations bilatérales s’inscrit également dans un contexte d’union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe, qui se traduit par exemple par le développement du projet H2med évoqué ci-dessus. Ce projet qui visait initialement à relier Barcelone et Marseille en sous-marin, a été élargi et unit aujourd’hui la France, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne.

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[1] Voir nos précédentes contributions: en Italien https://www.dejalex.com/2021/12/trattato-del-quirinale-italia-e-francia-firmano-uno-storico-accordo-di-cooperazione/ et en Français https://www.dejalex.com/2021/12/traite-du-quirinal-litalie-et-la-france-signent-un-accord-de-cooperation-historique/

[2] Ce gazoduc, qui devait permettre à l’Espagne et au Portugal d’acheminer du gaz (provenant sous forme de GNL des États-Unis ou du Qatar) vers l’Europe centrale en passant par la France, se heurtait à une fin de non-recevoir du président français en raison de considérations environnementales.