LE PROCESSUS DE CONSTITUTIONNALISATION DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT EN FRANCE ET EN ITALIE

marketude Diritto costituzionale e internazionale, Energia e Ambiente, Francia, Pubblicazioni, Roberto A. Jacchia, Sophie Bertoletto

Italie

Le 11 février 2022 La protection de l’environnement, de la biodiversité et des écosystèmes est entrée dans la Constitution italienne[1].

La Chambre des Députés a en effet définitivement approuvé la proposition de loi constitutionnelle qui modifie deux articles de la Constitution, plus précisément, les articles 9 et 41.

La loi constitutionnelle prévoit également une clause dite de “sauvegarde” pour l’application du nouvel article 9, qui régit les formes et les modalités de protection des animaux, par les Régions à statut spécial (Sardaigne, Sicile, Frioule Vénétie Julienne et Val d’Aoste) et les provinces autonomes (Trentin et Haut-Adige) dans les limites des compétences législatives qui leur sont reconnues[2].

Le texte, en deuxième lecture à la Chambre, est passé avec 468 voix pour, une contre et six abstentions. Le Sénat l’a approuvé à la majorité qualifiée requise des deux tiers le 3 novembre 2021. Par conséquent, la loi constitutionnelle  entre en vigueur immédiatement et n’est pas soumise à référendum confirmatif des électeurs.

Plus en détail, l’article 1 de la loi constitutionnelle ajoute un alinéa à l’article 9 de la Constitution, qui au deuxième alinéa reconnaît déjà comme devoir de la République la protection du « paysage et du patrimoine historique et artistique [3]».

Le nouvel alinéa est spécifiquement consacré aux profils environnementaux et est divisé en deux phrases. L’examen des travaux parlementaires[4] permet de comprendre que l’objet de la modification est d’affirmer plus fortement et de rendre plus articulé le principe de protection de l’environnement par rapport à la mention qui en déjà est faite à l’article 117, deuxième alinéa, lettre s) de la Constitution qui énumère les sujets sur lesquels l’Etat dispose d’une compétence législative exclusive[5]

Ainsi, le nouvel alinéa prévoit : « [la République] protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes, également dans l’intérêt des générations futures. La loi de l’Etat discipline les modalités et les formes de protection des animaux. »

Quant à l’article 2 de la loi constitutionnelle, il intervient sur le second alinéa de l’article 41 de la Constitution, ajoutant à la disposition actuelle – sur la base de laquelle l’initiative économique privée est libre mais  ne peut heurter l’utilité sociale ou porter atteinte à la sécurité, à la liberté et à la dignité humaine – la contrainte supplémentaire que l’initiative économique ne peut pas être réalisée de façon à nuire à la santé et à l’environnement[6].

Ces formulations ancrent dans la Constitution les orientations jurisprudentielles posées par la Cour constitutionnelle, qui opérait déjà une lecture extensive de la  « protection du  paysage » prévue à l’alinéa 2 de l’article 9.

Ainsi, dans une décision de 2002, la Cour constitutionnelle affirmait déjà que  « l’évolution législative et la jurisprudence constitutionnelle conduisent à exclure la possibilité d’identifier une  ‘matière’ au sens technique, qualifiable de ‘protection de l’environnement’, dès lors qu’elle ne semble pas être configurable comme domaine de compétence étatique strictement circonscrit et délimité, puisque, au contraire, il concerne et est inextricablement lié à d’autres intérêts et compétences. D’où une configuration de l’environnement comme valeur constitutionnellement protégée [7]».

Dans cette perspective, l’environnement apparait non plus comme simple bien, mais comme une valeur primaire et systémique.

Dans une décision de 2019, la Cour constitutionnelle a en outre fait référence à un «  processus évolutif visant à reconnaître une nouvelle relation entre la collectivité territoriale et l’environnement qui l’entoure, au sein de laquelle s’est consolidée la prise de conscience du sol en tant que ressource naturelle éco-systémique non renouvelable essentielle aux fins de l’équilibre environnemental capable d’exprimer une fonction sociale et de intégrer une pluralité d’intérêts et d’utilités collectifs, y compris ceux à caractère intergénérationnel [8]».

La protection de l’environnement, dans sa déclinaison multiple couvrant la biodiversité, les écosystèmes et le bien-être des animaux, se présente donc comme une « super-valeur » caractérisée par un périmètre dynamique, soit à cause de ses objets, qui ne sont pas spécifiquement déterminés par matière, soit dans la dimension temporelle, de ce chef s’adressant également aux générations futures, en tant que destinataires de la nouvelle norme et titulaires des intérêts qu’y sont ou seront sous-jacents.

 

France

En France, jusqu’en 2005, la protection de l’environnement ne figurait pas parmi les normes de valeur constitutionnelle.

Pourtant, la question de la constitutionnalisation de la protection environnementale s’était depuis longtemps posée au détour d’initiatives parlementaires, toujours restées vaines pour des raisons d’ordre politique, et d’une saisine du Conseil constitutionnel en 1990 par soixante sénateurs, conformément à l’article 61 alinéa 2 de la Constitution, relative à des constructions nouvelles situées à proximité de plans d’eau dans des zones de montagne, qui avait clairement invoqué la nécessité d’un débat sur le sujet.

Finalement, dans sa décision du 25 juillet 1990[9] , le Conseil ne s’était pas prononcé sur la protection de l’environnement, censurant les dispositions litigieuses pour des motifs tenant à l’irrégularité de la procédure législative « sans qu’il y ait lieu en l’état de s’interroger sur la conformité à la Constitution du contenu des dispositions ».

C’est à la faveur de la révision du 1er mars 2005[10] que la protection de l’environnement a finalement reçu une consécration quasi-constitutionnelle par l’adoption, en Congrès, d’une Charte de l’environnement adossée à la Constitution.

Désormais, le Préambule de la Constitution de 1958 prévoit que « le peuple français proclame solennellement son attachement (…) aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».

Après de nombreux reports, le texte avait finalement été examiné par l’Assemblée nationale du 25 au 26 mai 2004, voté par cette dernière le 1er juin 2004 et par le Sénat le 24 juin 2004. En dépit d’une multitude d’amendements, très peu furent retenus lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale et aucun lors de l’examen par le Sénat, un vote conforme – assez inhabituel dans le cadre d’une modification constitutionnelle – ayant été demandé par le rapporteur de la Commission des lois constitutionnelles

Née d’un souhait présidentiel, la Charte avait suscité de multiples interrogations, la première d’entre elles étant le choix même du terme « Charte », qui avait pu paraître déroutant parce que renvoyant, dans l’histoire constitutionnelle française, à des textes peu protecteurs de droits octroyés par les souverains.

Depuis le 1er mars 2005, le bloc de constitutionnalité contient donc un nouvel élément, divisé en un préambule et dix articles qui forment en réalité un tout. La Charte énonce des droits mais également des devoirs qui permettent de qualifier d’ambitieux le contenu de ce texte.

Les dix articles de la Charte de l’environnement sont précédés de sept alinéas qui en exposent en quelque sorte la philosophie. Tous n’instituent pas de droits ou de libertés que la Constitution garantit, de telle sorte qu’ils ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, mais ces alinéas peuvent être utilisés par le juge constitutionnel.

En 2021, un projet de loi constitutionnelle qui introduisait à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958[11] le principe selon lequel la France “garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique” avait été présenté au Conseil des ministres.

Il avait été adopté en première lecture, sans modification, par l’Assemblée nationale en mars 2021, puis avec modifications par le Sénat en mai 2021. En deuxième lecture, le texte avait été voté avec modifications par l’Assemblée nationale en juin 2021 puis par le Sénat en juillet 2021.

Le texte, une fois adopté, devait être soumis au référendum conformément à l’engagement du chef de l’État du 14 décembre 2020 devant la Convention citoyenne pour le climat. Toutefois, les deux Assemblées n’ayant pas réussi à voter le texte dans des termes identiques au bout de deux lectures, le Premier ministre a annoncé, le 6 juillet 2021, l’abandon du processus de révision constitutionnelle et donc du référendum.

Les députés et les sénateurs se sont opposés en particulier sur la première partie de l’article unique du projet de loi : les sénateurs ont refusé l’emploi du verbe “garantir”, jugeant ses effets juridiques trop incertains[12]

Contrairement à l’Italie qui a ancré dans sa Constitution une tendance jurisprudentielle consolidée depuis plusieurs années, la France a accordé une réelle force juridique à la protection de l’environnement seulement bien après son introduction dans le bloc de constitutionnalité.

En effet, ce n’est que quinze ans après l’entrée de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité que le juge constitutionnel français a donné une force inédite à l’objectif de protection de l’environnement. Dans une décision du 31 janvier 2020, il a retenu qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation des objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé avec l’exercice de la liberté d’entreprendre et a reconnu que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » qui peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre[13] », alors qu’il avait jusque-là conféré à la protection de l’environnement le caractère d’un objectif d’intérêt général.

À ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger. 

Désormais placée au plus haut niveau dans la hiérarchie des normes en France comme en Italie, la protection de l’environnement s’impose donc à tous.

Elle aura cependant la portée que le législateur et le juge voudront bien lui donner, et son efficacité – qui reste à vérifier – sera sans doute également subordonnée à un renforcement du dispositif répressif en la matière.

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[1] Loi constitutionnelle du 11 février 2022, n. 1, portant modifications des articles 9 et 41 de la Constitution en matière de protection de l’environnement, Gazzetta Ufficiale n. 44 du 22 février 2022.

[2] Proposition de loi constitutionnelle d’initiative sénatoriale Messieurs  DE PETRIS et NUGNES; DE PETRIS et autres; COLLINA et autres; PERILLI; GALLONE; L’ABBATE; BONINO; CALDEROLI et autres: “Modifications des articles 9 et 41 de la Constitution en matière de protection de l’environnement  ” (3156)  transmise par le Sénat le 9 juin 2021

[3] Article 9 de la Constitution : «La République promeut le développement de la culture et la recherche scientifique et technique. Elle protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation. »

[4] Sénat de la République italienne, Dossier du 7 février 2022, « Modifications des articles 9 et 41 de la Constitution en matière de protection de l’environnement ; A.C. 3156-B – Eléments pour l’examen par l’Assemblée

[5] Article 117, deuxième alinéa, lettre « s » de la Constitution : « L’Etat a compétence législative exclusive dans les matières suivantes : […] protection de l’environnement, de l’écosystème et des biens culturels »

[6] Article 41 de la Constitution : « l’initiative économique privée est libre. Elle ne peut avoir lieu en contradiction avec l’utilité sociale ou de façon à porter préjudice à la santé, à l’environnement, à la sécurité, à la liberté, à la dignité humaine. La loi détermine les programmes et les contrôles opportuns afin que l’activité économique publique et privée puisse avoir lieu et être coordonnée à des fins sociales et environnementales. »

[7] Cour constitutionnelle, Décision n.407/2002

[8] Cour constitutionnelle, Décision n.179/2019

[9] Cons. const. n° 90-277 DC du 25 juillet 1990, Considérants 23 et suivants

[10] Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 

[11] Cet article énonce jusqu’ici :“La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales

[12] .La commission des lois du Sénat avait retenu pour sa part l’expression « préserve l’environnement ».

[13] Cons. Const. n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020