LA RÉGLEMENTATION DE LA REPRÉSENTATION D’INTÉRÊTS EN FRANCE ET EN ITALIE

marketude Compliance, France, Publications, Sophie Bertoletto

Le « lobbying » ou la « représentation d’intérêts » désigne une activité qui consiste à prendre l’initiative d’entrer en contact avec des personnes chargées d’élaborer et de voter les lois ou de conduire l’action de l’État (dans les ministères, au Parlement, mais aussi dans les administrations au niveau local) pour influencer leurs décisions.

Correctement encadrée, respectant une déontologie adaptée à ses enjeux, la représentation d’intérêts est, dans une démocratie moderne, une activité légitime qui contribue à une prise de la décision publique éclairée, où chacun peut faire entendre son point de vue ou apporter son expertise.

En France, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II ») a apporté une première reconnaissance des activités de représentation d’intérêts et des professionnels qui les exercent, en intégrant la loi n.2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique[1].

Une première règlementation avait été adoptée en 2009 à l’Assemblée nationale, avec la création d’un registre des représentants d’intérêts facultatif, transposé par le Sénat en 2010. En 2013, un code de conduite des représentants d’intérêts avait précisé les règles pour l’Assemblée. En dépit d’un nombre limité d’inscrits, ces deux registres représentaient un progrès, à la fois en instaurant un début de transparence sur cette activité et en encadrant pour la première fois les relations d’influence via une autre approche que celle de la répression pénale (trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, corruption).

En Italie, la Chambre de Députés a approuvé le 12 janvier 2022[2] une proposition de loi d’initiative parlementaire visant à réglementer les activités de représentation d’intérêts. A la Chambre des Députés, depuis 2016 sont en vigueur le code de conduite des députés et le règlement pour l’activité de représentation des intérêts.

En France, au sens de l’article 18.2 de la loi n. 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique inséré par l’article 25 de la Loi Sapin II, trois conditions doivent être remplies pour être considéré comme un représentant d’intérêts :

  • être une personne morale (entreprise, qu’elle soit publique ou privée, cabinet d’avocats, société de conseil, syndicat, association, fondation…) ou une personne physique, qui exerce à titre individuel, par exemple un consultant ou un avocat indépendant,
  • dont un dirigeant, un employé ou un membre exerce des actions de représentation d’intérêts et prend l’initiative de contacter un responsable public pour essayer d’influencer une décision publique,
  • dont les activités de représentation d’intérêts constituent l’activité principale ou une activité régulière de celui ou ceux qui en sont chargés. Il s’agit d’une activité principale si la personne consacre plus de la moitié de son temps, sur une période de six mois, à préparer, organiser et réaliser des actions de représentation d’intérêts. Il s’agit d’une activité régulière si elle a réalisé à elle seule plus de dix actions d’influence au cours des 12 derniers mois[3].

Ne sont pas considérés comme représentants d’intérêts les élus dans l’exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques, les organisations syndicales, les associations à objet culturel dans leurs relations avec les ministres et les services ministériels chargés des cultes, les associations représentatives des élus dans l’exercice des missions prévues dans leurs statuts.

L’article 2b) de la proposition de loi italienne définit les représentants d’intérêts comme « les sujets qui représentent, auprès des décideurs publics, tels que définis à la lettre d), des intérêts d’importance même non générale et de nature non économique, afin de promouvoir le démarrage des processus décisionnels publics ou de contribuer aux processus publics en cours, ainsi que les sujets qui exercent, sur la base d’un mandat, pour le compte de leur organisation d’appartenance, l’activité de représentation d’intérêts, même dans le cadre ou pour le compte d’organisations sans but lucratif ou d’organisations dont le but social prévalent n’est pas l’activité de représentation d’intérêts .»

Il convient ici de s’interroger sur le risque que comporte cette définition, qui couvre un très large public concerné, d’imposer aux petites réalités locales une discipline trop articulée, qui pourrait vite devenir insoutenable d’un point de vue organisationnel.

Ainsi, en France, les représentants d’intérêts qui remplissent les critères définis par la loi doivent déclarer leurs activités sur un répertoire numérique institué auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique[4]qui fait état, pour chaque représentant d’intérêts, des données sur l’identité de leur organisation et sur les sujets sur lesquels portent leurs activités. Ils sont tenus en outre d’effectuer tous les ans une déclaration d’activité, portant sur les actions de représentation d’intérêts qui ont été menées au cours de l’année précédente et les moyens qui y ont été consacrés, qui doit être déposée dans un délai de trois mois à compter de la clôture de leur exercice comptable.

Ce répertoire vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics. Il permet de mieux connaître et mesurer l’impact de la représentation d’intérêts sur le processus normatif et permet également, pour les représentants d’intérêts, de voir leur activité reconnue et de faire valoir leurs préoccupations ainsi que la manière dont ils défendent leurs intérêts.

Aujourd’hui en France, 2420 représentants d’intérêts sont enregistrés sur le répertoire numérique géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique[5].

Afin de contrôler le respect des obligations déclaratives, la Haute Autorité dispose d’un pouvoir de vérification sur pièces et sur place.

La Haute Autorité a engagé, depuis mai 2018, une première série de contrôles afin d’identifier les représentants d’intérêts non-inscrits. Elle a, en outre, publié sur son site une liste des représentants d’intérêts n’ayant pas communiqué à la Haute Autorité tout ou partie des informations imposées par la loi.

De la même façon, en Italie, la proposition de loi prévoit la création d’un registre pour la transparence de l’activité de représentation d’intérêts auprès de l’Autorité de la concurrence[6], qui contient les mêmes informations que celles contenues dans le répertoire français, c’est-à-dire, des données sur l’identité de l’organisation ou du sujet qui exerce l’activité et sur les ressources humaines et économiques dont ils disposent pour l’exercice de l’activité.

Un Comité de surveillance de la transparence des processus de décision publique est également institué auprès de l’Autorité de la concurrence, qui est investie d’une fonction de contrôle et du pouvoir de prononcer les sanctions administratives prévues applicables[7].

Des règles déontologiques permettent en outre d’encadrer les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics et de développer un lobbying responsable.

En France, en application de l’article 18-5 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013, les représentants d’intérêts doivent respecter ces règles notamment lorsqu’ils entrent en contact avec des responsables publics, lorsqu’ils sollicitent des informations ou des documents officiels, lorsqu’ils les diffusent ou encore lorsqu’ils organisent des colloques avec des responsables publics.

Un représentant d’intérêts ne doit pas, par exemple, remettre des présents, dons ou avantages d’une valeur significative à un responsable public, rémunérer un responsable public pour le faire intervenir dans un colloque, essayer d’obtenir des informations par des moyens frauduleux, vendre les informations ou les documents qu’il obtient auprès d’un responsable public, etc.

L’Article 9 de la proposition de loi italienne prévoit de son côté une interdiction générique faite aux représentants d’intérêts de verser de l’argent ou d’autres avantages aux décideurs publics auxquels ils s’adressent.

En France, lorsque la Haute Autorité constate, de sa propre initiative ou à la suite d’un signalement, un manquement aux règles déontologiques, elle adresse au représentant d’intérêts concerné une mise en demeure de respecter ses obligations, qu’elle peut rendre publique après l’avoir mis en état de présenter ses observations. Après une mise en demeure, et pendant les trois années suivantes, le fait de ne pas respecter à nouveau les règles déontologiques est puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende[8].

La Haute Autorité élabore par ailleurs des lignes directrices pour guider l’action des représentants d’intérêts et conseiller les responsables publics qui s’interrogent sur les bonnes pratiques à mettre en place dans leurs relations avec ces derniers. 

Au niveau de l’Union européenne, les nombreuses activités de lobbying auprès des institutions ont suscité des critiques au regard de l’impact sur la transparence et la responsabilité dans le cadre du processus décisionnel.

Pour répondre à ces préoccupations, le Parlement a créé en 1995 un registre des lobbyistes, suivi en 2008 par la Commission. Les deux institutions ont, en 2011, fusionné ces deux instruments en un registre européen de Transparence (TR), sur la base d’un accord interinstitutionnel (IIA)[9]. Jusqu’à présent, le Conseil demeure observateur du système. Après quatre ans de négociations, le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sont parvenus à un accord en juillet 2021 pour réformer le registre de transparence, sur lequel plus de 12 000 entités sont inscrites. Chaque institution peut également adopter des mesures de transparence complémentaires : cela peut par exemple consister en la publication en ligne d’informations sur les réunions tenues entre responsable public et représentant d’intérêts. Les représentants permanents des Etats membres se sont, par exemple, engagés à ne rencontrer que des lobbyistes inscrits au registre durant leur présidence tournante du Conseil de l’UE et pendant les six mois qui précèdent celle-ci, et à publier ces rencontres en ligne.

L’inscription au registre européen est facultative. Elle confère cependant de nombreux avantages, qui varient selon les institutions. Elle est nécessaire pour qu’un lobbyiste obtienne une accréditation au sein du Parlement européen qui lui permet d’entrer dans les locaux du Parlement sans invitation. L’inscription permet aussi à un lobbyiste d’être auditionné par une commission parlementaire ou de rencontrer des commissaires européens, des membres de leur cabinet ou encore des directeurs généraux de la Commission. Les lobbyistes doivent aussi s’inscrire pour participer à des réunions avec des fonctionnaires du secrétariat général du Conseil, accéder aux locaux et être admis à des sessions d’information thématiques.

La proposition de loi italienne présente un cadre très ambitieux. Cependant, la première question qui se pose est de savoir s’il y aura la volonté politique de le faire fonctionner réellement en le dotant des outils d’organisation et de mise en œuvre nécessaires qui, en France se révèlent effectifs et efficaces.

Enfin, l’insertion de règles pour réglementer et limiter le phénomène du pantouflage devrait en outre être l’une des pierres angulaires d’une loi qui entend régir sérieusement la discipline du lobbying pour éviter que d’éventuels conflits d’intérêts ne faussent la concurrence entre les entreprises lorsque l’ancien titulaire d’une charge publique met à profit la richesse de ses connaissances et des informations (parfois confidentielles) apprises au cours de sa carrière pour développer ses activités.

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[1] Loi n. 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, Titre II, Articles 25 à 33, JORF n. 0287 du 10 décembre 2016 ; Loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JORF n°0238 du 12 octobre 2013.

[2] Proposition de loi d’initiative parlementaire, approuvée par la Chambre des Députés le 12 janvier 2022, relative à la discipline de l’activité de relations institutionnelles pour la représentation d’intérêts.

[3] Décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, Article 1

[4] Article 18-1 Loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique cit.

[5] Source : site de la HATVP

[6] Article 4 de la proposition de loi d’initiative parlementaire, approuvée par la Chambre des Députés le 12 janvier 2022, relative à la discipline de l’activité de relations institutionnelles pour la représentation d’intérêts : “Est institué auprès de l’Autorité garante de la concurrence et du marché le Registre public pour la transparence de l’activité de représentation d’intérêts, ci-après dénommé « Registre » […]“

[7] Article 7 de la proposition de loi d’initiative parlementaire, approuvée par la Chambre des Députés le 12 janvier 2022, relative à la discipline de l’activité de relations institutionnelles pour la représentation d’intérêts

[8] Article 18-9 Loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique cit.

[9] Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire, JOUE 11 juin 2021